Page:Anatole France - Les Opinions de Jérôme Coignard.djvu/86

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son peuple, allait tous les jours dans le temple prier les dieux pour la vie du tyran. Instruit d’une piété si singulière, Denys voulut en connaître les raisons. Il fit venir la bonne femme et l’interrogea :

» — Je ne suis pas jeune, répondit-elle, j’ai vécu sous beaucoup de tyrans, et j’ai toujours observé qu’à un mauvais succédait un pire. Tu es le plus détestable que j’aie encore vu. D’où je conclus que ton successeur sera, s’il est possible, plus méchant que toi, et je prie les dieux de nous le donner le plus tard possible.

» Cette vieille était fort sensée, et j’estime comme elle, monsieur Jean Hibou, que les moutons font sagement de se laisser tondre par leur vieux berger, de peur qu’il n’en vienne un plus jeune qui les tonde de plus près.

La bile de M. Jean Hibou, mise en mouvement par ce discours, se répandit en paroles amères :

— Quels lâches propos ! quelles indignes