Page:Anatole France - Les Sept Femmes de la Barbe-Bleue.djvu/270

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et vous portez au flanc l’abîme que côtoyait Pascal. Moi, j’aime la vie, la vie de cette terre, la vie telle qu’elle est, la chienne de vie. Je l’aime brutale, vile et grossière ; je l’aime sordide, malpropre, gâtée ; je l’aime stupide, imbécile et cruelle ; je l’aime dans son obscénité, dans son ignominie, dans son infamie, avec ses souillures, ses laideurs et ses puanteurs, ses corruptions et ses infections. Sentant qu’elle m’échappe et me fuit, je tremble comme un lâche et deviens fou de désespoir.

» Les dimanches, les jours de fête, je cours à travers les quartiers populeux, je me mêle à la foule qui roule par les rues, je me plonge dans les groupes d’hommes, de femmes, d’enfants, autour des chanteurs ambulants ou devant les baraques des forains ; je me frotte aux jupes sales, aux camisoles grasses, j’aspire les odeurs fortes et chaudes de la sueur, des cheveux, des haleines. Il me semble, dans ce grouil-