Page:Anatole France - Pierre Nozière.djvu/161

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— Je vous suis reconnaissant d’un si bon avis, répondis-je. Vous me voyez prêt à le suivre. Je crois comme vous en effet qu’avec de la civilité et en observant les règles on se tire d’affaire en ce monde et dans l’autre, s’il y en a un autre. Mais excusez-moi, je suis distrait.

— En ce cas, me dit le vieil orientaliste, ne fréquentez pas les puissants de ce monde et tâchez de n’avoir besoin de personne. »

À mesure que le repas avançait, la conversation devenait plus vive et plus confuse, et je n’y recueillis rien de considérable. Mais après le déjeuner, M. Antonin Furnes me fit, en prenant son café, un récit intéressant dont voici les termes mêmes :

« Il y a trente ans, étant à Paris, je reçus la visite d’un Arabe que j’avais connu l’année précédente à Mascate où j’avais été envoyé en mission par le gouvernement. C’était un fort bel homme et un lettré. Il avait une intelligence assez vive, mais entièrement fermée à tout ce qui n’était point le génie de sa race. Il n’y a dans tout l’Orient que les Arméniens qui soient aptes à comprendre les idées européennes. Les Turcs n’en sont pas capables ; les Arabes, encore moins. Celui-ci, qui m’avait reçu