Page:Anatole France - Pierre Nozière.djvu/163

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de la conversation à cette époque lointaine. Il est vrai que Djeber-ben-Hamsa ne pouvait jouir en aucune manière du plaisir d’entendre M. Guizot ou M. de Rémusat, Mme  *** et Mme  ***. Il comprenait bien l’anglais. C’est une langue assez familière aux Arabes de l’Oman, depuis l’établissement des Anglais à Aden. Mais il ne savait pas vingt mots de français. Aussi pris-je soin de le conduire de préférence dans les bals et dans les concerts. On dansait beaucoup alors et l’on voyait un grand nombre de femmes admirablement belles. Je le menai dans les bals les plus brillants de la saison, chez Mme  X…, chez Mme  Y…, chez Mme  Z… La beauté de ses traits, la gravité de son maintien, le geste gracieux par lequel il portait sa main à sa tête et à ses lèvres en signe de dévouement, le langage imagé par lequel il exprimait dans sa langue sa profonde gratitude, et que je traduisais de mon mieux à la maîtresse de la maison, toutes ses manières enfin, étranges et belles, inspiraient de la curiosité, de l’intérêt, une sorte de respect et de sympathie. Je le fis inviter à un bal des Tuileries. Il fut présenté à l’empereur et à l’impératrice. Il ne s’étonnait de rien. Il ne témoigna jamais aucune surprise.