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LES POÈMES DORÉS

La forêt qui s’étend à l’horizon déroule,
Sous un vent large et frais, les grands plis de sa houle,
Et mugit tout au loin dans la brume du soir.

Sur le vieux banc de marbre envahi par la mousse
Cécile s’abandonne à sa tristesse douce.
Sa tête penche au faix des lourds cheveux châtains,
Des cheveux d’où jaillit une étrange étincelle
Quand le peigne se plonge en leur flot qui ruisselle
Sous l’ombre des rideaux, au secret des matins.

Très lasse, de souffrance et de langueur parée,
De sa propre faiblesse elle-même enivrée,
Elle vit en silence à l’ombre des tilleuls.
Son âme un peu farouche a cette clairvoyance
Et ces secrets instincts, sûrs comme la science,
Noble et fatal trésor de ceux qui vivent seuls.

D’un long et plein oubli nonchalamment éprise,
Elle respire, émue au souffle de la brise,
Les amères senteurs qui voyagent dans l’air ;
Et, le sein frissonnant des frissons dont l’automne
Fait tressaillir le soir la forêt monotone,
Elle laisse errer son regard couleur de mer.