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LES POÈMES DORÉS

Tout son esprit s’exhale en effluves mystiques,
Abandonne et reçoit des ondes magnétiques,
Et s’échappe bien loin de la chair et du sang.

En des affres d’horreur et de vague, entraînée
Vers un but que fixa l’obscure Destinée,
Comme un fluide au fil du métal conducteur,
Elle glisse, et voici qu’elle aborde éperdue
Une phosphorescente et liquide étendue
Où l’air austral épand sa chaude pesanteur.

Dans les blanches clartés et les ombres légères
Des constellations de formes étrangères,
Une frégate lofe au souffle de la mer.
Un marin, dans le vent, debout sous la dunette,
Sous les trois galons d’or de sa sombre casquette,
Plonge au large un regard impérieux et clair.

Il a, croisant les bras, cette grâce un peu rude
Que la force au repos prend dans la solitude.
Immobile, étant vu de Cécile, il la voit.
Nul frisson n’a troublé son manteau militaire,
Mais un sourire doux, sur son visage austère,
S’achève lentement plus étrange et plus froid.