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LES POÈMES DORÉS


Et, blême pour jamais d’avoir été ravie
Dans la mouvante horreur des confins de la vie,
Souvent, à la clarté triste des jours tombants,
Une délicieuse et mortelle tendresse
Se trouble amèrement en elle et l’intéresse
À l’Inconnu pensif sous les sveltes haubans.

Au théâtre, ce soir, de diamants fleurie,
Elle regarde, mais sans voir ; sa rêverie.
Dans l’espace incertain flottant comme un parfum
En une volontaire et paisible démence,
Au gré des visions musicales commence
Mille songes subtils sans en finir aucun.

Et soudain, comme un arc se courbant en arrière,
Rigide, ses grands yeux révulsés, sans lumière,
Elle pousse un cri sourd dans sa gorge expirant ;
Elle a vu sur la mer la frégate connue,
Mais donnant sur le flanc, ses trois mâts rasés, nue,
Sinistre et noir ponton dans la tempête errant.

Aux agrès amarrés sur l’avant qui se dresse,
C’est Lui, Lui, qu’elle voit couché dans sa détresse :
Seul, épuisé, mourant, il se soulève un peu,