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IDYLLES ET LÉGENDES


« J’ai goûté l’herbe en fleur dont la vertu savante
Nous ravit loin du corps dans un monde divin ;
C’est pourquoi désormais l’ennui d’être vivante,
Comme un champ de pavots, remplira tout mon sein.

« Quand ma main aura fait ce que l’Esprit ordonne,
Je la contemplerai sans haine et sans regrets :
Je sais que vivre est vain, et que la mort est bonne,
Qu’elle a des charmes doux et de profonds secrets. »

Elle dit, souleva du doigt le bras tranquille
Qui s’était replié tiède et brun sur son flanc ;
Souple, elle en dégagea sans bruit sa taille habile
Et sur le tapis sourd assura son pied blanc ;

Et, chaude encor du lit, dans sa robe froissée,
Lente, elle s’approcha du pilier de bois noir,
Et saisit la poignée éclatante et glacée
Du sabre dont l’acier lui servit de miroir.

Elle dit : « Astres clairs, qui contemplez ma face,
Nuit, qui suspends la vie et ses œuvres mauvais,
Je ferai devant vous ce qu’il faut que je fasse,
Et vous connaîtrez seuls les raisons que j’avais. »