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Page:Anatole France - Thaïs.djvu/174

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première. Ce qui est fait est fait, et la création est à jamais manquée. Du moins, je n’abandonnerai pas mes créatures. Si je ne puis les rendre heureuses comme moi, je peux me rendre malheureuse comme elles. Puisque j’ai commis la faute de leur donner des corps qui les humilient, je prendrai moi-même un corps semblable aux leurs et j’irai vivre parmi elles.

» Ayant ainsi parlé, Eunoia descendit sur la terre et s’incarna dans le sein d’une tyndaride. Elle naquit petite et débile et reçut le nom d’Hélène. Soumise aux travaux de la vie, elle grandit bientôt en grâce et en beauté, et devint la plus désirée des femmes, comme elle l’avait résolu, afin d’être éprouvée dans son corps mortel par les plus illustres souillures. Proie inerte des hommes lascifs et violents, elle se dévoua au rapt et à l’adultère en expiation de tous les adultères, de toutes les violences, de toutes les iniquités, et causa par sa beauté la ruine des peuples, pour que Dieu pût pardonner les crimes de l’univers. Et jamais la pensée céleste, jamais Eunoia ne fut si adorable qu’aux jours où, femme, elle se prostituait aux héros et aux bergers. Les poètes devinaient sa