Page:Anatole France - Werther et Tom Jones, traduits par M. le comte de La Bédoyère, paru dans Le Chasseur bibliographe, février 1863.djvu/5

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tient à marquer au public, il rejette en note les passages qu’il croit de nature à révolter la délicatesse française[1].


II.


Les plus belles qualités de l’âme, sans la prudence, ne peuvent procurer le bonheur. Voilà ce que Fielding prouve victorieusement dans son histoire de Tom Jones. Il démontre encore mille autres choses non moins vraies et moins utiles, que nous nous dispenserons d’énumérer parce que nous n’en avons point le loisir et que cela profiterait médiocrement à nos lecteurs, tandis que les mêmes vérités, mises en exemples par Fielding lui-même, pourront leur procurer un agréable divertissement et produire en même temps sur eux les plus salutaires impressions.

La Harpe, qui jugeait fort bien du mérite des auteurs quand il n’avait rien eu à démêler avec eux, tenait Tom Jones pour le premier roman du monde ; et, en effet, ce livre est l’œuvre plutôt d’un moraliste que d’un romancier.

Jamais romancier n’eut plus que Fielding le don d’animer ses personnages ; ils sont si vivants, ils ont un tel air de réalité, qu’on ne peut s’empêcher de les aimer, de les haïr, de les plaindre, de les blâmer enfin, de s’associer à leur destinée.

Quel admirable personnage que l’écuyer Western, ce gentilhomme campagnard qui passe sa vie à chasser et à boire, qui ne rêve que chiens, lièvres et renards, et qui se croit profond politique ! Cet excellent homme adore sa fille ; et quand

  1. Le traducteur écrivait en 1845. Le public a été traité depuis avec beaucoup moins de ménagements. De pareils scrupules seraient traités maintenant de pusillanimité.

    Un fidèle ami de M. de la Bédoyère, dont le nom est encore cher à ceux qui aiment les arts, Tony Johannot, a, dans le même volume, traduit à sa manière quatre scènes du roman de Werther. Le talent ne peut manquer de se surpasser quand il est stimulé par l’amitié. On reconnaîtra dans ces quatre vignettes ce front pur et ces beaux yeux noirs qui ont causé les souffrances du jeune Werther.