Page:Anatole France - Werther et Tom Jones, traduits par M. le comte de La Bédoyère, paru dans Le Chasseur bibliographe, février 1863.djvu/6

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Jones, au péril de sa vie, a sauvé les jours de la charmante Sophie : « Mon ami, lui dit-il, je n’ai rien à te refuser : prends chez moi ce que tu voudras, sauf mes terres, mes chiens, ma jument et ma fille. » C’est justement sur cette dernière que Jones eût fait tomber son choix ! Quel n’est pas l’étonnement de l’honnête gentilhomme quand il apprend que Jones fait la cour à sa fille ! « Je ne l’aurais jamais pensé, s’écrie-t-il ; je ne l’ai jamais vu l’embrasser. »

Jones, indignement calomnié, exilé, malgré son excellent cœur, de la maison de son père adoptif, erre, ainsi que Don Quichotte, d’hôtellerie en hôtellerie ; ainsi que le chevalier de la Manche, il redresse les torts sur son passage et console les beautés affligées, ce qui fait verser bien des larmes à la pauvre Sophie. Comme Don Quichotte encore, il est suivi de son fidèle Sancho ; car quel autre nom donner à Patridge, ce composé d’un bedeau, d’un barbier et d’un maître d’école ; franc poltron, grand mangeur, solide buveur, ennemi de la guerre et des terribles aventures, brave homme au demeurant ? Si sa mémoire n’est pas aussi riche en proverbes que celle de son confrère de la Manche, il cite avec autant d’à-propos et de mesure quelques lambeaux de latin, seul trésor qui lui reste de son premier métier.

Cependant Sophie, persécutée par son père qui veut à toute force la marier à un fort méchant jeune homme, et qui lui crie à chaque instant : « Morbleu ! décide-toi : M. Blifil ou du pain sec ! » ne prend ni l’un ni l’autre de ces partis et se résout à la fuite. La voilà courant à travers champs en compagnie de mistriss Honora, sa femme de chambre, qui est bien la plus impertinente et la plus rusée servante qu’on puisse imaginer. Elle en remontrerait en égoïsme et en perfidie aux soubrettes de Marivaux. M. Western abandonne aussitôt ses chiens et vole à la poursuite de sa fille. Tous nos gens se retrouvent à Londres, où tout s’arrange pour le mieux.

Nous n’avons fait qu’indiquer quelques scènes de ce roman, sans nommer le quart des personnages. Nous n’avons rien dit de M. Allworthy, de mistriss Western, du philosophe Square et du théologien Thwackum, de mistriss Fitz-Patrick, de mistriss Miller ; mais c’est déjà trop pour ceux qui connaissent ce charmant livre ; pour les autres, puissent-ils nous