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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/109

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tableau des rangs. L’ignorance et l’incapacité, appuyées sur la patience, pouvaient se hisser peu à peu au sommet de l’échelle. Les réformes, qui doivent faire de la Russie un État moderne, ont heureusement commencé à ébranler la religion du tchine et à en corriger les abus. Un jour viendra, sans doute, où l’emploi ne dépendra plus du rang officiel et du numéro de la classe ; où, à la place de promotions à un grade civil, il n’y aura plus que des nominations à une fonction. Le tchine a cependant trop pénétré dans les mœurs, il est, pour le gouvernement et les ministres, un instrument de récompense trop commode et trop peu coûteux pour être entièrement abandonné, bien que, sous Alexandre III, on ait parlé de le supprimer[1].

Le tableau des rangs, en apparence si favorable au service de l’État, a encore eu pour les services publics un autre inconvénient, celui de faciliter la confusion des diverses carrières. Un homme pouvant être appelé à un emploi dès qu’il en avait le grade, les fonctionnaires passaient d’une administration dans l’autre, sans posséder ni aptitudes ni connaissances spéciales. Sous Nicolas, sous Alexandre II même, les services civils étaient ainsi encombrés de militaires, l’armée était devenue la grande école administrative, elle était au moins la pépinière des hauts fonctionnaires. On se flattait peut-être de trouver plus d’honnêteté ou d’honneur chez les chefs de l’armée, et aux époques de trouble on s’imaginait en imposer davantage aux révolutionnaires avec le sabre. En dehors même des militaires, il n’était pas rare de voir un homme sauter de la justice aux finances, de l’administration à la diplomatie. La classification hiérarchique des fonctionnaires portait naguère encore à méconnaître le principe moderne de la division du travail et de la spécialité des

  1. En 1865 il était question d’abolir tous les grades civils, sauf pour les trois premières classes. Dans certains ressorts, dans la magistrature notamment, on fait depuis longtemps déjà abstraction du tchine.