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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/135

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gouverneur, les habitants y ont perdu une garantie plus illusoire que réelle.

La police a de tout temps été l’un des ressorts où les exactions et les abus de toute espèce étaient le plus fréquents, parce qu’ils étaient le plus faciles. Malgré l’attention que lui a toujours consacrée le gouvernement, ce service, sur lequel reposent tous les autres, est jusqu’ici resté l’un des plus défectueux. Dans les villes, dans les capitales surtout, là où elle agit sous l’œil des autorités les plus élevées, la police laisse extérieurement peu à désirer, elle est attentive, complaisante, polie, sinon toujours honnête. À Saint-Pétersbourg, un étranger qui l’eût jugée par les dehors eût pu la croire parfaite ; l’audace longtemps impunie des nihilistes n’en a que trop révélé la négligence et l’inhabileté. Cette surprenante impuissance de la police tenait surtout aux défauts habituels de l’administration russe, à l’ignorance, à l’incurie, à la vénalité.

D’après une enquête faite sous Alexandre III, en 1881, par le général Baranof, alors préfet de police de Pétersbourg, un grand nombre des agents de police de la capitale ou de la banlieue étaient incapables de rédiger un procès-verbal, beaucoup même ne pouvaient écrire correctement leur nom. Parmi les commissaires, un grand nombre ignoraient les lois et les règlements dont ils devaient faire l’application, et leur moralité était souvent au niveau de leur instruction. Qu’on juge par là de ce que peut être la police dans les provinces reculées ! L’insuffisance du personnel s’expliquait par l’insuffisance de son traitement, d’autant que la déconsidération où est demeuré, en Russie, tout ce qui touche à la police, n’est pas faite pour en faciliter le recrutement. Les commissaires de Saint-Pétersbourg, qui s’en tenaient à leurs émoluments, avaient peine à vivre, et les simples agents, les policemen, seraient morts de faim s’ils n’eussent prélevé sur les cabarets et les auberges un supplément, en nature ou en argent, à leurs modiques appointements. Parmi