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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/138

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fonctions spéciales, à intervenir dans nombre d’affaires plus ou moins étrangères à sa mission. Un journal remarquait que les lois de l’empire ne contenaient pas moins de 5075 articles touchant les attributions de la police. Pour remplir tous les devoirs qui lui incombent, un employé de la sûreté serait obligé d’être à la fois officier de santé, chimiste, architecte, censeur, huissier, accusateur public près de la justice de paix, adjoint des juges d’instruction, inspecteur de l’accise, surveillant des recrues ou des soldats de la réserve, et en outre exécuteur, toujours disponible, des ordres de toutes les autorités. Cette multitude d’attributions diverses convertit ses agents en fonctionnaires à tout faire, et distrait naturellement la police de sa vocation principale, du soin de veiller à la sécurité et à la salubrité publiques. À force d’en étendre la sphère, on en affaiblit l’action. Les préoccupations politiques ont, dans les dernières années, accru encore cet inconvénient. La lutte contre la révolution, qui absorbait toute l’attention et les capacités de la police, la détournait de soins moins importants ; à force de veiller à la sûreté de l’État, elle perdait de vue la sécurité des particuliers. La chasse aux conspirateurs et aux sociétés secrètes laissait des loisirs aux assassins et aux voleurs, dont la vulgaire capture ne pouvait inspirer le même zèle, ni rapporter les mêmes avantages. Les malfaiteurs bénéficiaient ainsi de la guerre engagée entre le gouvernement et le nihilisme, et les facultés extraordinaires accordées à la police ne profitaient point à la sécurité publique.

C’est dans les petites villes et dans les campagnes, là où tout contrôle et tout recours sont impossibles, que la police est le plus défectueuse, qu’elle se permet le plus d’abus et de prévarications. Les paysans, les ouvriers, les petites gens ont fréquemment à pâtir de la cupidité, de l’arbitraire ou de l’insolence de l’ispravnik, du stanovoï et de leurs subordonnés. Dans un pays aussi vaste, à population d’ordinaire aussi peu dense, il est naturellement malaisé