Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/139

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’entretenir une bonne police. Cela est particulièrement difficile pour les campagnes : au temps du servage l’autorité des propriétaires fonciers et de leurs comptoirs y maintenait l’ordre. L’émancipation a, malgré les efforts de la haute noblesse, aboli la police seigneuriale sans toujours la remplacer. Un des membres les plus marquants des commissions de rédaction, le prince Tcherkassky, avouait, dans sa correspondance privée, que si la nouvelle organisation avait un défaut, c’était l’insuffisance du pouvoir répressif dans les campagnes[1]. Cette lacune a souvent fait regretter l’ancienne police domaniale, que les efforts plusieurs fois répétés d’une partie de la noblesse n’ont pu faire rétablir. Aux comptoirs des grands propriétaires, le gouvernement a préféré les communes des paysans ; mais, malgré les pouvoirs accordés aux anciens de village ou de volost, malgré l’autorité concédée à la police sur les administrations communales, ces dernières ont peine à protéger les campagnes contre les vagabonds, les ivrognes, les voleurs, les incendiaires. La sécurité dans les villages était si mal garantie que, vingt ans après l’émancipation, j’ai entendu nombre de propriétaires déclarer, avec la Gazette de Moscou, la campagne inhabitable. Aussi le gouvernement a-t-il décidé, vers la fin du règne d’Alexandre II, la création d’une police rurale spéciale. Cette institution, encore toute récente et déjà condamnée, mérite un moment d’attention, elle est un exemple typique de ce que peuvent produire, en Russie, les innovations en apparence les meilleures.

Des agents de police, au nombre de 5000 ou 6000, furent disséminés dans les campagnes de l’intérieur. On les arma, on les monta, on leur donna de bons appointements et des droits étendus. Ces nouveaux gardes à cheval ruraux, créés en 1878, sont appelés ouriadniki[2]. Ils diffèrent de nos

  1. Lettre du prince Tcherkassky (23 juillet 1861). Voyez Un homme d’État russe (Nicolas Milutine), d’après sa correspondance inédite. Hachette, 1884.
  2. Du mot ouriad, ordre.