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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/141

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Aujourd’hui, comme au temps du servage, le contrôle de la police ordinaire s’exerce particulièrement au moyen des passeports. Le passeport conserve en Russie une importance qu’il n’a peut-être jamais eue en aucun pays de l’Occident ; au dedans comme au dehors de l’empire, il rappelle sans cesse aux sujets du tsar la jalouse tutelle de l’administration. En Russie, le passeport sert au contrôle du fisc en même temps qu’à celui de la police. Avant l’émancipation, c’était un collier qui, en dehors du village seigneurial, ne quittait jamais le cou du serf, et portait en lettres authentiques le nom du maître. En devenant libres, les moujiks sont demeurés solidairement assujettis à l’impôt ; à ce titre, l’État et le fisc, ayant partout intérêt à les reconnaître, continuent à ne pas les laisser circuler sans l’ancien collier.

Les passeports forment, du reste, un véritable impôt et l’un de ceux qui montrent le caractère encore archaïque des contributions en Russie[1]. Cette taxe donne annuellement 3 ou 4 millions de roubles, c’est-à-dire presque autant que rapportait l’enregistrement vers 1870. Pour l’étranger le droit est de 10 roubles par an ; sous l’empereur Nicolas, il montait à 500 roubles, soit à 2000 francs par personne et, sous Alexandre III, il s’est trouvé des conservateurs pour conseiller de revenir à l’ancien tarif. Tant mieux, dit-on, si les Russes ne peuvent plus voyager en Occident, ils n’en rapporteront plus d’idées révolutionnaires. À l’intérieur le droit était récemment de 85 kopeks pour six mois, de 1 rouble 45 kopeks pour un an[2], et il faut un passeport à tout commerçant, paysan, ouvrier, s’éloignant de sa demeure de plus de 30 verstes, autrement dit de plus de sept ou huit lieues.

Dans un pays où les distances rendent, chez toutes les

  1. Voyez, dans la Revue des Deux Mondes du 15 décembre 1876 et du 1er janvier 1877, notre étude sur le Système financier de la Russie.
  2. Le kopek est le centième du rouble ; ce dernier étant compté au pair, le kopek vaut 4 centimes.