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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/142

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classes, les voyages si fréquents, où une notable partie de la population est condamnée par le climat et la pauvreté du sol à passer périodiquement la moitié de l’année hors de ses foyers, l’obligation du passeport à l’intérieur est particulièrement vexatoire. Ni la police ni le fisc lui-même n’en retirent tous les avantages qu’ils en attendent. La sévérité des règlements n’a jamais empêché le grand nombre de vagabonds ou coureurs (brodiaghi), parmi lesquels se recrutent les sectes les plus bizarres. La fabrication ou la contrefaçon des passeports a, de tout temps, été une industrie fort répandue, à ce point qu’au lieu d’aider les recherches de la justice on a souvent vu les passeports la dérouter.

Le passeport russe n’est pas seulement une entrave à la libre circulation, aux affaires et aux plaisirs des habitants, c’est un obstacle au libre choix du domicile et de la profession, un obstacle au libre groupement de la population, selon le degré de productivité du sol. C’est à l’aide de ce lien, plombé par la police et marqué du sceau de l’État, que les communes rurales retiennent leurs membres dans leur sein et les attachent au sol. Sous des dehors modestes, l’abrogation des passeports obligatoires serait une réforme considérable ; ce jour-là seulement, le Russe, rentré en possession du droit d’aller et de venir, pourra se dire entièrement émancipé. Le besoin de modifier les règlements en vigueur est reconnu de tous ; plusieurs commissions ont été nommées dans ce dessein ; mais, comme il arrive souvent à Pétersbourg et ailleurs, rien n’est sorti de leurs travaux, ou les projets élaborés par elles n’ont pas reçu la sanction du pouvoir. L’abolition de la capitation, enfin supprimée par Alexandre III, facilite aujourd’hui cette réforme. Pour le fisc et les communes, le passeport était une arme contre les mauvais contribuables[1]. C’était le

  1. On doit cependant observer que, au point de vue fiscal, le passeport a souvent des conséquences opposées à son but. La plupart des paysans quittent