Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/157

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innombrables mesures de salut public édictées à la hâte et sans lien entre elles, dans les dernières années du règne d’Alexandre II. Sous le régime appelé par le général Ignatief état de protection renforcée (ousilennaïa okhrana), lequel correspond plus ou moins au petit état de siège allemand, les gouverneurs ont le droit de fermer à leur gré les établissements industriels, d’interdire aux particuliers le séjour de telle ou telle ville, de soustraire les justiciables aux tribunaux ordinaires[1]. Sous ce régime, les chefs de police et la gendarmerie sont autorisés à arrêter et emprisonner tout individu soupçonné de crime d’État ou de participation à des sociétés illicites, ils peuvent opérer des perquisitions en tout lieu et à toute heure, et mettre provisoirement les scellés sur toute espèce de propriété. Cet état de protection renforcée, auquel le ministre de l’Intérieur est libre de soumettre les provinces de l’empire, est doux et libéral en comparaison de l’état de protection extraordinaire (tchrezvytchaïnaia okhrana) que le gouvernement lui peut substituer, en cas de besoin, par simple arrêté ministériel. Sous ce nouveau régime qui renchérit sur le grand état de siège prussien, les gouverneurs de province sont investis de tous les droits appartenant à un commandant en chef en pays ennemi. Ils peuvent, par voie administrative, prononcer des peines s’élevant jusqu’à 3000 roubles d’amende et trois mois de prison, contre les individus coupables d’infractions ou de délits « qu’on ne saurait sans inconvénient déférer à la justice » ; ils sont maîtres de suspendre tous les journaux et publications périodiques, maîtres de fermer par simple arrêté tous les élablissements d’instruction. Ils ont enfin la faculté, plus exorbitante peut-être encore, de mettre sous séquestre les immeubles et les revenus appartenant à des particuliers, non seulement dans le cas où le propriétaire conspire

  1. Oukaze da 4 septembre 1881. Ces mesures concernaient les principales villes et une dizaine de provinces ; édictées d’abord pour un an, elles ont été plusieurs fois renouvelées.