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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/167

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conquis. Cet isolement est une des principales raisons de ses nombreuses mésaventures.

Les incroyables facilités offertes aux plus audacieux attentats par cette répugnance du public à seconder la police, ont fini par frapper tout le monde. Pour y remédier, des hommes bien intentionnés avaient imaginé, durant les premiers mois du règne d’Alexandre III, de former une société privée, destinée à aider le gouvernement dans la recherche et la poursuite de ses ennemis. Sous l’antique nom de droujina, on avait essayé de réunir une espèce de confrérie d’auxiliaires volontaires de la police, ou mieux de former, à côté de la police officielle, une sorte de police officieuse, spontanée ainsi que gratuite, et, comme celle du gouvernement, en grande partie secrète. Le meilleur moyen de lutter contre les conspirations, n’était-ce point, disaient les promoteurs de cette droujina, d’aller les combattre sur leur propre terrain, et avec leurs propres armes ? L’idée de défendre le gouvernement à l’aide d’une société secrète ne pouvait germer que dans la patrie de la troisième section. On voit à quel point la longue domination d’une police occulte a donné aux Russes le goût des affiliations clandestines. Des hommes sérieux ont proposé de décerner des primes d’argent aux ouvriers et aux paysans qui dénonceraient les propagandistes révolutionnaires, sans s’apercevoir que par ce moyen ils ne feraient que subventionner les délations. D’autres allaient plus loin, non contents de vouloir emprunter aux révolutionnaires leur organisation secrète, ils rêvaient d’imiter leurs procédés d’exécution sommaire, de prévenir leurs attentais par des attentats analogues. « Quand donc, me disait un de ces zélateurs de l’ordre, se rencontrera-t-il un sujet assez dévoué pour aller, à Genève ou à Paris, régler les comptes des fauteurs du régicide ? pour les provoquer en duel et, au besoin, leur brûler la cervelle sans plus de cérémonies qu’ils n’en mettent à faire sauter un empereur ? »