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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/168

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En dehors de semblables services, on ne voit pas quel avantage le gouvernement pouvait tirer de cette nouvelle chevalerie. La sainte ligue (Sviataia droujina), ou la confrérie du salut (droujina spasénia), comme l’appelaient ses fondateurs, a inutilement reçu des dons considérables, provenant en partie de juifs, dont ces croisés de l’ordre acceptaient l’argent, mais non la personne. On ne dit pas qu’elle ait fait mettre la main sur aucun nihiliste ; en revanche, on prétend qu’elle a fait arrêter comme conspirateurs des agents secrets de la police. De semblables associations ne sauraient guère vivre qu’avec un mobile et un but religieux, comme certaines confréries du moyen âge ou la fameuse congrégation de la Restauration. Une pareille ligue secrète ne pouvait offrir au pouvoir grandes garanties, car les cadres supposés des défenseurs du trône auraient bien pu à l’occasion servir d’abri à ses ennemis. La police volontaire et la police officielle devaient bien vite devenir suspectes l’une à l’autre ; aussi le gouvernement d’Alexandre III s’est-il bientôt empressé de licencier ses auxiliaires improvisés.

La police d’État, qui a si mal gardé l’empire contre la contagion révolutionnaire, n’a guère mieux réussi à assainir le champ empesté de la bureaucratie et du tchinovnisme. On pourrait dire qu’elle a presque également échoué dans cette double tâche.

L’administration russe n’a pas gagné à la surveillance de la troisième section tout le profit qu’en espérait l’empereur Nicolas. Bien payés et triés avec soin, les officiers de gendarmerie ont été parmi les fonctionnaires les plus probes de l’empire ; tout abus de la confiance mise en lui expose un gendarme à perdre son emploi. L’intégrité, d’ordinaire maintenue dans ses rangs, ce corps d’élite n’a malheureusement pu l’introduire, au même degré, dans les administrations placées sous son contrôle. À dénoncer tous les abus commis autour d’eux, à réprimer tous les abus dénoncés, les gendarmes eussent eu trop à faire. Les