Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/219

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leurs capitaux d’approvisionnements (prodovolstvennyé kapitaly) pour subvenir à des besoins urgents. Bien peu seraient en état d’équilibrer leur frêle budget sans de pareils emprunts aux divers fonds spéciaux dont ils ont la gestion. Le gouvernement a dû reconnaître la légalité de ces virements autorisés par la nécessité ; et, les États provinciaux n’ayant pu reconstituer leurs réserves, le pouvoir central a été plus d’une fois obligé de venir au secours des provinces atteintes par les mauvaises récoltes.

S’ils n’ont pu mettre les campagnes à l’abri des disettes ou de la famine, les zemstvos ont mieux su défendre le paysan et l’agriculture contre un autre fléau, non moins redoutable aux Russes, contre l’incendie. On sait quels sont les ravages habituels du feu, du coq rouge, comme disent les Russes, dans les villes, et surtout dans les villages de bois de la Russie. Chaque été on compte de trente à trente-cinq mille incendies, et plus de cent mille maisons brûlées[1]. Chaque année, les relevés officiels évaluent à 70 ou 80 millions de roubles, c’est-à-dire à plus de 200 millions de francs, les pertes subies de ce chef par l’empire. C’est là un lourd impôt annuel prélevé par les flammes sur le peuple et l’agriculture. J’ai, par une nuit d’été, dans les campagnes du Don, vu luire au loin trois incendies simultanés dans des directions différentes. Toutes les mesures de précaution sont infructueuses ; c’est en vain que les zemstvos ont reçu le droit de réglementer le plan des villages, en vain que, dans les bourgades, les maisons voisines sont isolées les unes des autres et les deux côtés de la rue séparés par de larges espaces, de manière que, si un côté brûle, l’autre reste indemne. J’ai vu de ces villages où il est, durant l’été, interdit aux paysans d’allumer du feu dans leur izba, de façon que chaque ménage est obligé de faire sa cuisine dans une sorte de four en terre creusé au milieu de la rue. Toutes

  1. Un nombre considérable de ces incendies, un cinquième d’après quelques statistiques, un tiers d’après certains écrivains, proviennent du crime.