Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/242

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cité tout occidentale, toute moderne, tout européenne ; c’est la vivante image du gouvernement qui l’a fondée, la digne capitale d’une dynastie dont la mission est d’européaniser la vieille Moscovie. Saint-Pétersbourg est, selon le mot du poète, la fenêtre par laquelle le jour de l’Occident pénètre dans l’immense empire ; ou mieux, c’est le miroir qui concentre les lumières de l’Europe pour les réfléchir sur la Russie. Moscou est demeurée la ville des souvenirs, si ce n’est des traditions ; elle est devenue le refuge des mœurs russes et des prétentions à l’originalité slave ; elle reproche volontiers à la résidence de la Neva ce qu’elle appelle le cosmopolitisme pétersbourgeois. Avec son Kremlin, dont l’enceinte gothique aux tours ogivales enferme des églises byzantines aux coupoles d’or, avec ses différents gorods ou ses divers quartiers, enchâssés les uns dans les autres comme des anneaux concentriques autour du vieux noyau de pierre ; avec sa ceinture de couvents, pareils à des forts détachés autour de la métropole orthodoxe, Moscou se sent toujours le cœur de la Russie ; elle est fière de son passé, et, même en imitant autrui, elle prétend rester elle-même ; elle est jalouse de sa nationalité et affecte volontiers de vanter ce qui est russe ou slave, de dédaigner ce qui vient de l’Ouest, ce qui est latin ou germain. L’esprit et l’influence des deux capitales sont aussi différents que leur histoire et leurs monuments. En elles se personnifient les deux tendances qui, depuis Pierre le Grand, se disputent la Russie, les deux génies qui, pareils aux deux figures allégoriques du poète devant le jeune Hercule, montrent à la Russie adolescente deux chemins opposés. Pour le bien de l’empire et le repos du monde, il serait à désirer que ces deux influences rivales se pussent toujours équilibrer ; que Pétersbourg et Moscou se fissent contrepoids : l’un assurant le triomphe de la civilisation libérale et progressive de l’Europe, l’autre gardant le précieux dépôt de la nationalité.

Depuis 1870, l’esprit de Moscou est plus d’une fois rede-