Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/368

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tation ne s’étend ni aux présidents ni aux vice-présidents, mais seulement aux simples juges. C’est l’inverse de ce qui se pratique en des pays plus libres, en Belgique par exemple. Cette restriction n’a point paru suffisante, la magistrature assise ne peut user à son gré du droit de désignation dont elle est investie. Un tribunal ne peut arrêter son choix qu’après que ce choix a été agréé par le procureur, c’est-à-dire par l’agent direct et docile du ministre. Une telle condition semble réduire le droit de présentation à une simple formalité ; mais il y a plus, cette désignation ainsi faite, avec l’intervention du parquet, le ministre est toujours maître de n’en tenir aucun compte, sans en donner aucun motif : il reste libre de présenter lui-même ses propres candidats à côté des candidats du tribunal. On comprend qu’avec de telles précautions contre leur propre système, les rédacteurs des règlements judiciaires ont laissé peu d’efficacité à ce droit de présentation. L’autorité de l’opinion pourrait seule lui rendre une valeur réelle, en amenant le ministre à accepter d’ordinaire le choix des tribunaux, ou le souverain à préférer les candidats des magistrats à ceux de son ministre.

Par malheur, le jour où l’opinion publique serait assez puissante pour en faire une vérité, ce mode de nomination des juges, sur la présentation des tribunaux, aurait beaucoup perdu de son utilité. Si un tel mode d’investiture convient quelque part, c’est dans un pays où le pouvoir est trop fort et la société trop faible pour que le premier soit dirigé par la seconde. Partout ailleurs, ce droit de désignation des tribunaux pourrait offrir presque autant d’inconvénients que d’avantages. Les défauts en seraient différents de ceux de la justice élective, mais peut-être égaux. La magistrature, que l’élection rend trop dépendante de l’opinion et des partis, risquerait, en se renouvelant elle-même, de devenir trop indépendante de la société, trop isolée de l’opinion. Chez une magistrature recrutée à la façon d’une académie, comme dans nos anciens