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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/37

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l’empire, pourrait pousser les communes à des mesures plus inhumaines. On a vu plus d’une fois, en effet, les paysans organiser une espèce de chasse contre des malfaiteurs réels ou supposés, expulser violemment des accusés absous par le jury, traquer des voleurs de chevaux impunis et aller en certains cas, avec de prétendus sorciers par exemple, jusqu’au meurtre. On pourrait dire ainsi que, pour des raisons assez analogues, il existe, dans les villages russes comme dans les campagnes américaines, une sorte de loi de Lynch[1].

Dans des réunions d’un caractère aussi primitif que les assemblées de village, ce serait une erreur que d’attacher une trop grande importance aux injonctions ou aux restrictions de la loi. Il ne faut point se représenter ces réunions de moujiks comme des séances de conseils régulièrement convoqués, où l’on n’est admis qu’avec une carte d’électeur, où les suffrages des votants sont religieusement recueillis et comptés. Le mir est le produit de la coutume, les mœurs et l’habitude y tiennent lieu de loi. Le législateur peut édicter, dans des oukazes en tant et tant d’articles, les règles à observer pour la convocation et les délibérations de ces assemblées de village, il faudra beaucoup de temps pour que tout y soit scrupuleusement conforme aux édits et aux lois. Rien de moins formaliste que ces réunions de paysans ; on n’y connaît point de règlements à la façon de ceux qui président à nos assemblées ou à nos conseils électifs. On n’y observe ni cérémonial ni étiquette. L’assemblée est entièrement maîtresse d’admettre à la discussion comme au vote qui bon lui semble.

Les réunions ont lieu d’ordinaire en plein air, le plus souvent le dimanche, après l’office, aux environs de l’église, ou sur ces longues places qui servent de rues aux

  1. Les exemples de ce genre sont encore très fréquents, d’autant que la plupart demeurent impunis. On a ainsi vu en 1883 le jury d’Odessa acquitter les meurtriers d’un voleur de chevaux qu’on avait attaché à la queue d’un cheval.