Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/38

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villages russes. Toute la population, hommes et femmes, adultes et enfants, assiste à la délibération. Là où se sont conservées les vieilles mœurs, les pères de famille, répartis en groupes ou formés en cercles, discutent les questions du jour pendant que les jeunes gens se tiennent un peu à l’écart ou écoutent en silence. Par malheur, les jeunes gens ont depuis l’émancipation pris le goût de l’indépendance, ils perdent de plus en plus le respect des cheveux blancs, qui, naguère était un des traits distinctifs du moujik et du mir. La jeunesse ne craint plus de couvrir la voix des vieillards, et parfois déjà ces derniers désertent l’assemblée. Le gouvernement du mir se trouve ainsi atteint indirectement dans son principe, dans ce qui en faisait la force et la stabilité. La commune tout entière ressent le contrecoup de la révolution en train de s’accomplir dans la famille, car, selon une remarque de H. E. Renan, « l’exclusion de la jeunesse des affaires est le trait de ces sortes de constitutions patriarcales[1]. ».

Dans ces séances il n’y a ni bureau ni président ; l’ancien, qui convoque la réunion et est censé la présider, reste parfois confondu dans la foule. Quand il ne leur rend pas compte de ses actes ou de ses projets, l’ancien ne fait guère qu’interroger les assistants et leur demander s’ils approuvent telle ou telle mesure, telle ou telle décision. On parle de tous côtés, tour à tour, ou tous à la fois sans demander la parole ; d’ordinaire on fait peu de phrases et peu d’éloquence. Le plus souvent les affaires se terminent au kabak, au cabaret ; c’est là que discutent les fortes têtes du village, là que se tiennent, pour ainsi dire, les commissions d’étude de l’assemblée. Comme dans toutes les réunions des paysans, on boit beaucoup avant, beaucoup après. Ce serait cependant une erreur que de se représenter ces réunions comme des assemblées d’ivrognes ; d’ordinaire un homme ivre n’y serait point admis. Dans la discussion,

  1. E. Renan, Mélanges d’histoire et de voyage.