Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/373

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aujourd’hui une des professions les plus recherchées de la jeunesse et surtout des jeunes gens de talent. Le barreau est en Russie chose toute nouvelle, il date des lois de 1864, qui ont introduit la procédure orale. Naguère il n’existait rien de semblable à un avocat, on ne connaissait que d’ignorants chargés de pouvoir qui rédigeaient ou présentaient les mémoires des plaideurs et suivaient les procès devant les tribunaux. On les appelait striaptchy[1]. C’étaient, dit N. Tourguénef, d’obscurs et ignobles agents, aussi peu renommés pour leur moralité que pour leurs connaissances, parfois des affranchis, quelquefois même des serfs[2]. Le royaume de Pologne et les trois provinces baltiques étaient seuls, dans tout l’empire, à posséder des avocats dignes de ce nom[3].

Le barreau russe a été improvisé par les nouvelles institutions judiciaires. À la différence de la plupart des États d’Europe, le droit de plaider devant les tribunaux n’est pas encore le privilège d’une corporation d’avocats formés dans les écoles de droit. Toute personne d’une certaine moralité ou d’une certaine instruction peut être admise à plaider au civil comme au criminel. Cet arrangement était imposé par le défaut d’hommes de loi, le législateur n’étant pas maître de faire surgir soudainement tout un corps d’avocats. Ce pourrait, toutefois, n’être pas là une mesure transitoire. L’État, en effet, n’a peut-être pas les mêmes raisons d’exiger des garanties de capacité de l’avocat que du médecin. On comprend qu’à côté des avocats proprement dits, contrôlés par l’État et pour ainsi dire marqués du poinçon officiel, puissent plaider à l’occasion des hommes n’ayant d’autre titre que la confiance de leurs

  1. Striaptchy, da verbe striapat, préparer à manger, faire la cuisine et, par assimilation, brasser un procès.
  2. N. Tourguénef, la Russie et les Russes, t. III.
  3. L’édit de 1876 qui a rendu l’usage de la langue russe obligatoire et exclusif dans tous les tribunaux de l’ancien royaume, a temporairement mis fin à l’existence du barreau polonais.