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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/380

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CHAPITRE V


La justice criminelle. — La police et l’instruction. — Crainte d’être impliqué dans les affaires criminelles. — De l’emploi de la torture. — Création de juges d’instruction. — Première dérogation à la loi. — Le jury. — Sa composition. — Ses défauts. — Jurés illettrés et indigents.


De toutes les branches de la justice russe, la plus défectueuse, celle qui avait le plus besoin de réforme, était encore la justice criminelle. Tout était à réformer, le mode d’instruction, le mode de jugement et, en partie même, le code pénal.

Sous les prédécesseurs d’Alexandre II, l’instruction de toutes les affaires criminelles était dévolue à la police ; et la police, d’ordinaire mal composée, mal rétribuée, ne voyait trop souvent dans les délits et les crimes qu’une mine souterraine à exploiter. Les agents vivaient moins de leur maigre traitement que des affaires qui leur passaient par les mains. Ils avaient deux moyens d’augmenter leurs profits, l’un en ménageant les malfaiteurs, l’autre en inquiétant les innocents. La police faisait ainsi un double commerce : aux voleurs elle vendait son silence, aux honnêtes gens sa protection. Les criminels de toute espèce devenaient les clients des hommes chargés de les poursuivre ; entre les uns et les autres il s’était établi une sorte d’association tacite, parfois même de contrat en règle, de manière que les auxiliaires officiels de la justice étaient le principal obstacle à une bonne justice[1].

  1. Sur le rôle de la police avant les réformes, voyez les spirituelles lettres de M. de Molinari sur la Russie, lettres réimprimées en 1878.