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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/381

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Pour accroîlre ses profits, la police avait intérêt à traîner en longueur l’instruction des affaires ; mais eût-elle voulu les instruire rapidement que, le plus souvent, elle n’en eût pas été maîtresse. Toutes les précautions de la loi et de l’autorité se retournaient contre la justice. Dès qu’elle apprenait ou soupçonnait un crime, la police devait immédiatement mettre la main sur tous ceux qui en avaient connaissance ou qui en avaient été témoins, pour ne les relâcher que l’instruction terminée. Celui qui dénonçait un acte coupable était arrêté sur l’heure comme suspect, et détenu jusqu’à ce que son innocence eût été prouvée. On devine les effets pratiques de pareils procédés. Les vols, les meurtres commis en plein jour, dans un lieu public, n’avaient point de spectateurs.

Personne n’avait jamais rien vu, rien entendu, rien su. Un homme appelait-il à l’aide, tout le monde se détournait et s’enfuyait ; les victimes d’un crime pouvaient rester étendues sur la voie publique, sans rencontrer aucun secours, tant chacun redoutait d’avoir quelque chose à démêler avec les tribunaux et la police. Pour les attentats les plus notoires on trouvait difficilement des témoins ; plutôt que de se laisser, à ce titre, impliquer dans une affaire, les gens prudents payaient à la police une rançon. Dans les villages où l’on découvrait un assassinat, les paysans s’entendaient pour ne rien ébruiter et dérouter toutes les recherches. Un meurtre était-il commis sur une grande route, les familles du voisinage en faisaient avec précaution disparaître toutes les traces.

Un jour, dit-on, un marchand avait été attaqué dans la campagne et laissé pour mort dans sa voiture ; le cheval, abandonné à lui-même, se remit en route et vint s’arrêter dans un village, devant une auberge où son maître avait coutume de descendre. À peine les habitants virent-ils dans la voiture un homme couvert de sang qu’avant d’examiner si le voyageur était mort, ils chassèrent de devant leur demeure le sinistre équipage, et le malheureux cheval,