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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/382

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chassé de porte en porte, dut avec le cadavre reprendre sa course vers un prochain village, où il trouva même accueil, jusqu’à ce qu’enfin, repoussé de partout, il s’abattit dans la campagne. La crainte de la police faisait des honnêtes gens les complices involontaires des malfaiteurs. Les choses se passent souvent encore de la sorte, pour les crimes politiques, sinon pour les crimes privés. L’appréhension excitée par les agents de la répression explique la fréquente impuissance de la justice[1].

Les vexations de la police et les lenteurs de l’instruction étaient naguère si fastidieuses, si dispendieuses, que les victimes d’un délit ou d’un crime hésitaient à le faire poursuivre. Avait-on recours à la justice, après un vol ou une agression, il fallait payer les frais de l’enquête, payer l’entretien des témoins et des accusés, avec toutes les démarches réelles ou imaginaires de la police, en sorte qu’il en coûtait plus de faire arrêter le voleur que d’être volé. Aussi, au lieu d’en appeler comme ailleurs à l’autorité, voyait-on les Russes qui avaient à se plaindre d’autrui se tenir cois, et, au besoin, nier leur cas ou même payer la police pour qu’elle n’inquiétât pas le malfaiteur. À d’imprudents étrangers qui, en pareille circonstance, avaient bruyamment réclamé le secours des tribunaux, il est arrivé de se désister à force d’ennuis, et même d’acheter à prix d’argent la suspension des poursuites qu’ils avaient chèrement subventionnées au début.

La justice avait jadis, en Russie, comme dans toute l’Europe, un mode d’information rapide, si ce n’est toujours sûr : c’était la question, la torture. Ce procédé de nos anciens tribunaux, qui existait déjà sous les vieux tsars, avait, à l’imitation de l’Occident, été perfectionné sous le règne d’Alexis Mikhaïlovitch, père de Pierre le Grand.

  1. A Kief, par exemple, on a vu, dans la principale rue de la ville, un conspirateur, poursuivi en plein jour par la police, s’arrêter plusieurs fois et faire feu sur les agents, sans que personne eût l’idée de prêter main-forte à l’autorité.