Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/391

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le meilleur moyen de renverser l’antique barrière des préjugés, et en même temps de rehausser le niveau moral du jury, de lui donner un esprit plus large et plus élevé en le plaçant au-dessus des intérêts comme des préventions de caste.

Cette décision n’était pas d’une exécution fort aisée. Dans un pays comme la Russie, il était difficile de recruter de cette manière un jury homogène et éclairé, capable de comprendre toutes les classes de la nation et de leur inspirer à toutes une égale confiance. Le jury, de même que le suffrage politique, peut être considéré comme une fonction ou comme un droit. Le gouvernement russe l’a surtout regardé sous le premier aspect. En principe, la loi reconnaît à chaque citoyen le droit d’être juré ; en fait, elle n’admet à l’exercice de ce droit que les hommes qui en sont reconnus capables. À cet égard, la Russie ne fait que se conformer aux usages des pays les plus libéraux, qui presque tous exigent plus de garanties de l’homme appelé à prononcer sur la liberté de son semblable que de l’électeur admis à décider des intérêts de l’État.

En aucun pays il n’était moins facile de trouver un critérium de capacité applicable à toutes les classes de la nation. Le réformateur prétendait ne laisser asseoir sur les bancs du jury que les représentants les plus éclairés et surtout « les plus moraux » de la société, mais à quel signe reconnaître les qualités intérieures, les qualités morales des hommes ? Dans son embarras, le gouvernement russe a dû recourir aux vieux procédés en usage à l’étranger, il a demandé aux jurés certaines conditions d’âge, de domicile, de fortune ou de position. Le principe du cens, nouveau en Russie, a été appliqué au jury aussi bien qu’aux états provinciaux. Pour les assesseurs jurés (prisiajnié zasêdatéli), le cens varie suivant les localités[1]. Dans

  1. Il faut posséder cent déciatines (environ 100 hectares) de terre, ou bien un immeuble d’une valeur de 5000 roubles dans les capitales, de 1000 rou-