Aller au contenu

Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/40

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’assemblée qui en font l’autorité. De là, dans ces réunions patriarcales, l’habitude séculaire de voter ou, mieux, de décider toute chose à l’unanimité, par acclamation[1].

Pour qu’une décision fût regardée comme exempte d’erreur ou de contrainte, comme obligatoire pour tous, il fallait, dans cette démocratie primitive, qu’elle eût l’appui ou du moins l’aveu de tous. Il va sans dire que, tous ne pouvant toujours être du même avis, une telle unanimité ne peut s’obtenir que par l’acquiescement du petit nombre à la volonté du plus grand nombre. C’est ainsi que les choses se passent d’ordinaire dans le mir : la minorité s’en remet expressément ou tacitement à l’avis de la majorité. Sur ce rustique forum les orateurs qui se sentent isolés n’osent maintenir longtemps leur dire contre l’opinion générale ; agir autrement serait à leurs yeux de l’infatuation ou de l’entêtement. Cette soumission volontaire tient en même temps au respect de l’individu pour la communauté et au respect de la communauté pour les hommes d’âge, d’expérience ou de savoir, dont elle suit les conseils. Quels qu’en soient les motifs, ces habitudes traditionnelles rendent d’ordinaire tout vote inutile. S’agit-il d’élire un starost ou un autre fonctionnaire, on jette un nom, puis un autre en l’air ; le nom qui trouve le plus d’écho est bientôt répété par toutes les bouches, et le starost, ainsi élu, est proclamé. S’agit-il d’une affaire délicate, sur laquelle l’accord est malaisé, l’assemblée, après avoir en vain tenté de s’entendre, renvoie la délibération à une autre séance ; dans l’intervalle on continue à discuter la question entre soi, on cherche des compromis, et si l’on

  1. On peut signaler des usages analogues dans la djemaa des Kabyles d’Afrique. Pour la composition de l’assemblée de village, pour l’élection du l’amin on ancien, pour l’autorité de l’assemblée qui n’a d’autre limite que la coutume, comme pour le mode de délibération, la djemaa kabyle offrait, avant les modifications introduites sous l’influence française, de nombreux traits de ressembian<te avec la commune russe, avant les altérations qu’est en train de subir le mir. Voyez la Kabylie et les coutumes kabyles, par MM. Hanoteau et Letoumeur, 1873, et M. Renan, Mélanges d’histoire et de voyage, 1878.