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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/420

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coup que les mesures répressives les mieux justifiées ne sauraient suffire à rendre à un gouvernement la sécurité.

Après les oukazes de mai et d’août 1878, il semblait malaisé d’aller plus loin dans la voie de la répression : la tentative de régicide de Solovief fit inventer de nouvelles et plus graves mesures. Comment s’en étonner, alors qu’au milieu du siècle, en France même, il a suffi de bombes jetées par quelques étrangers sur le chemin de l’Opéra, pour qu’à l’aide d’une loi de sûreté générale qui n’était que l’abrogation de toute loi, un pays qui n’était point la patrie de l’autocratie fût tout entier soumis à un régime de terreur légale ? La Russie autocratique ne pouvait, en un cas pareil, rester en arrière de la France du second Empire ; elle institua des gouverneurs généraux militaires pour lesquels toutes les lois civiles furent suspendues, qui reçurent la faculté de faire passer devant les conseils de guerre les personnes justiciables des tribunaux ordinaires, et de déporter administrativement toute personne suspecte. Dans un pays où régnait la troisième section, tout cela, il est vrai, n’innovait pas beaucoup en droit ; la grande modification était dans l’extension donnée à ces mesures arbitraires. La procédure habituelle des conseils de guerre parut trop lente ; les gouverneurs généraux furent autorisés à la simplifier pour recourir à la justice sommaire usitée en campagne. D’après l’oukaze du 5 août 1879, les accusés purent être mis en jugement sans enquête préalable, être condamnés sans déposition orale des témoins, être exécutés sans examen de leur pourvoi en cassation.

Dictés par l’indignation ou suggérés par le désir d’opposer la terreur gouvernementale à la terreur révolutionnaire, ces procédés de justice sommaire sont loin d’être tout profit pour le pouvoir qui les emploie. Les jugements précipités sans enquête judiciaire, comme celui de Mlodetski en 1880, comme celui des assassins du général Strelnikof en 1882[1], jugés et exécutés dans les vingt-quatre

  1. Miodetski avait tiré sur le général Loris-Mélikof, alors chef du gouver-