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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/445

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de voir les jurisconsultes de Pétersbourg et de Moscou repousser presque unanimement la pendaison ou la décapitation, n’y voir qu’un reste des coutumes barbares du passée[1]. Si le gouvernement, comme il se pique parfois de le faire, consultait à cet égard une assemblée d’experts, il en recevrait assurément le conseil d’effacer à jamais du sol russe la tache sanglante des exécutions. C’est là une concession que les philanthropes ne semblent pas de longtemps devoir obtenir, quoique le souverain daigne souvent commuer la peine capitale en travaux forcés. Tout en maintenant la peine de mort pour les crimes d’État, le pouvoir paraît décidé à ne plus l’appliquer en public. Dans un pays où le sentiment général est opposé à la peine capitale, où le gibet ne se dresse que pour des criminels politiques, le sombre appareil des exécutions publiques est, moins que partout ailleurs, un spectacle moralisateur pour le peuple. La calme et hautaine attitude des condamnés, leurs solennelles protestations ont plus d’une fois excité d’une manière visible les muettes sympathies d’une partie des assistants, pendant que la lenteur du lugubre cérémonial et la maladresse habituelle des bourreaux russes provoquaient l’horreur de tous. Dans la foule des grandes villes, les suppliciés rencontraient toujours des amis ou des adhérents, prêts à les admirer comme des héros et à jurer de les venger. Chez un tel peuple, avec l’esprit d’exaltation qui règne dans la jeunesse, l’exemple donné du haut de l’échafaud risque d’être contagieux, comme la mort des martyrs aux époques de persécution religieuse. L’exécution même des assassins d’Alexandre II semble avoir excité dans les masses, si dé-

  1. C’est ce qu’a fait plus d’une fois la société des juristes russes (iouriditcheskoé obchtchestvo). À l’heure même où, par l’intermédiaire des cours martiales, le gouvernement élargissait le cercle des crimes encore punis du dernier supplice, les juristes russes se prononçaient contre la peine de mort, la déclarant inutile au maintien de l’ordre public et contraire aux saines notions de la morale et du droit pénal. Voyez la Kriticheskoe Obosrénié de Moscou, 4 février 1879.