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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/446

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vouées au tsar, moins de terreur que de pitié. Aussi le gouvernement a-t-il résolu, autant qu’il est capable de s’en tenir à une décision, de ne plus donner de pareil spectacle à ses sujets, et de faire dresser les potences dans l’intérieur des prisons.

Nous n’avons pas à peser ici la valeur des arguments élevés en faveur de l’inviolabilité de la vie humaine par la plupart des juristes russes. La science pénale, comme toutes les sciences qui touchent à la politique, n’a pas, croyons-nous, de solution aussi absolue qu’on se le persuade souvent à Moscou et à Pétersbourg, où plus que partout ailleurs on se pique d’être fidèle aux principes et à la logique. Pour la pénalité, de même que pour les autres parties de la législation, de même que pour toutes les branches de la vie publique, c’est aux faits et aux mœurs de décider ce qui, à tel moment de l’histoire, convient à tel peuple, à tel état social. Si, dans la Russie contemporaine, cette redoutable et répugnante peine de mort ne paraît pas à tous l’indispensable auxiliaire de l’ordre et de la loi, c’est que la douceur des mœurs du paysan, douceur indéniable en dépit d’accès intermittents de sauvage brutalité, c’est que, plus encore peut-être, l’ascendant de la religion, toujours vivante dans le cœur du peuple, sont pour l’ordre public de plus sûres garanties que le glaive de la loi. Au dehors on sera tenté de chercher à ce phénomène d’autres explications. Et quoi, dira-t-on, la peine qui en Russie remplace le dernier châtiment, la déportation dans les déserts glacés de la Sibérie, ne serait-elle pas aussi efficace que le gibet pour arrêter le bras des malfaiteurs ? Si les cours d’assises russes n’ont point besoin de recourir à l’échafaud, n’est-ce point que cet exil dans les affreuses solitudes du Nord est, pour le commun des hommes, un supplice plus cruel et non moins redouté que la mort même ?