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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/456

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chiourme de forçats sur la route de Sibérie, frappa le public et émut Alexandre II, qui donna l’ordre de changer le mode de transport des exilés. J’ai rencontré sur le Volga de ces convois de condamnés, vêtus de souquenilles de toile et entassés sur des bateaux plats ; je crois que, dans ce trajet, ils ont moins à souffrir que nos forçats, transportés à fond de cale, par delà l’Océan, à nos antipodes. Le voyage a lieu d’ordinaire dans la belle saison, afin d’utiliser les communications fluviales par le Volga et la Kama, puis, au delà de l’Oural, par la Tobol, l’Obi et les rivières de Sibérie. Les condamnés passent l’hiver dans les prisons d’Europe ; au printemps ils sont de tous les coins de l’empire dirigés sur Moscou, d’où on les expédie sur l’Asie, à travers Nijni, Kazan, Perm et Tobolsk.

Durant la période de navigation, de mai à septembre, ces lugubres caravanes d’été, composées de centaines de personnes de tout rang, de tout sexe et presque de tout âge, se succèdent à de courts intervalles, souvent tous les huit ou dix jours. Le nombre des condamnés des diverses catégories est fort considérable. C’est vers 1825, c’est-à-dire avec le règne de Nicolas, que la déportation a commencé à prendre un grand essor, et, depuis, le contingent annuel du bannissement a grossi d’année en année. Sous Nicolas, vers 1830 par exemple, le chiffre annuel des déportés montait en moyenne à huit mille environ, dont près de la moitié étaient des vagabonds ou des serfs expulsés par leurs propriétaires. En 1830 le nombre total des exilés en Sibérie était de plus de quatre-vingt mille (83 000) ; en 1855 on l’estimait à près de cent mille âmes (99 860, dont 23 000 femmes), soit une véritable armée, disséminée sur toute la surface de la Sibérie[1].

De 1878 à 1886, malgré la diminution des cas où est ap-

  1. Voyez Schnitzler, Empire des Tsars, t. III, p. 882. D’après les chiffres publiés plus récemment par M. Maksimof (Sibir i Katorga), il y aurait eu, de 1823 à 1858, un peu plus de 304 000 déportés en Sibérie, dont la moitié seulement auraient été des criminels condamnés par les tribunaux.