Aller au contenu

Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/467

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aujourd’hui à procurer aux condamnés. Il n’en est point toujours ainsi dans l’intérieur des provinces, dans les vieilles constructions, où, faute de place, on est obligé d’entasser pêle-mèle prévenus et condamnés. Les révolutionnaires se sont beaucoup plaints du régime des prisons et des traitements inhumains dont leurs amis y auraient été victimes. À en croire leurs proclamations, les souffrances des détenus politiques ont été un des motifs de l’exaspération des « nihilistes » et de leurs nombreux attentats[1]. Les enquêtes gouvernementales ont elles-mêmes révélé plus d’un fait révoltant. Le logement et la nourriture étaient souvent insuffisants et insalubres. Dans un empire aussi vaste, avec les vices habituels de la bureaucratie russe, avec le manque de contrôle et le manque de publicité, de pareils abus sont inévitables, bien qu’ils semblent moins la règle que l’exception. Le reproche que, dans les provinces du moins, semblent le plus mériter les prisons, c’est, comme presque partout en Russie, le défaut de propreté et le défaut d’hygiène. Aussi l’état sanitaire y est-il souvent déplorable ; en temps d’épidémie, il y a là parfois de redoutables foyers d’infection[2]. À cette cause de souffrance pour les détenus il faut ajouter parfois la rudesse des geôliers et presque toujours l’arbitraire et la vénalité des employés qui n’ont d’égards que pour l’argent. Dans les maisons d’arrêt et de détention, le désordre et les abus étaient d’autant plus faciles qu’il y avait plus de confusion dans cet important service. Le ministère de la Justice, le ministère de l’Intérieur, la IIIe section, avaient naguère

  1. C’est ainsi que, en février 1879 les placards séditieux affichés à Kharkof au lendemain de l’assassinat du gouverneur de la province, le prince Kropotkine, donnaient, comme un des motifs de son exécution, les traitements barbares infligés par ses ordres aux détenus politiques de la ville.
  2. Dans la maison de force de Pskof, on comptait qu’en moyenne chaque détenu était malade trois fois par an ; dans celle de Vilna, la mortalité des forçats était annuellement de 23 pour 100. Ces maisons de force, naguère encore au nombre de dix, doivent être supprimées et tous les condamnés aux travaux forcés être réunis à Sakhaline et dans la province du Transbaïkal.