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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/468

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encore chacun leurs prisons particulières avec une administration séparée. Afin de remédier à ce manque d’unité, on a concentré tout le service des prisons dans la main d’une administration nouvelle, ayant à sa tête une direction spéciale, placée sous le contrôle de personnages nommés par le souverain[1].

À l’aide de la réforme du système pénitentiaire et de la revision du Code pénal on se flatte de diminuer la criminalité ou du moins d’en arrêter la progression. Des espérances de ce genre ont été trop souvent déçues pour qu’on ose s’y fier. Ce n’est pas qu’au point de vue de la criminalité la situation de l’empire présente rien de particulièrement décourageant. Les sinistres prédictions faites lors de rafîranchissement des serfs ne se sont pas vérifiées. On disait qu’en rompant tout à coup le lien traditionnel des propriétaires et des paysans, on allait déchaîner dans la nation tous les vices et tous les crimes. Que n’avait-on pas à craindre d’un peuple ignorant et grossier, subitement débarrassé de chaînes séculaires ! Les faits n’ont point confirmé ces appréhensions. Les crimes ont pu changer de nature, la criminalité ne s’est pas beaucoup accrue ; à certains égards même, elle semble avoir diminué. La comparaison est difficile, car les statistiques ne lui fournissent pas de documents suffisants. En dehors des délits et des crimes jugés par les tribunaux, le servage avait sa criminalité spéciale, ses crimes souvent ignorés et impunis, attentats des seigneurs sur la santé de leurs serfs ou l’honneur de leurs serves, attentats des serfs sur la vie ou les

  1. Le régime des bagnes et des prisons russes a jadis été dépeint dans ses Mémoires de la maison de mort (Zapiski is merivago doma), par le romancier Dostoïevski ; il avait dans sa jeunesse été forçat, comme impliqué dans un procès politique. À la fin du règne d’Alexandre II, un ancien détenu du nom de Linef a, sous le titre de Par les prisons (Po tiourmam, 1878-1880), donné de curieux et attristants tableaux des maisons de détention. On peut leur comparer les descriptions du prince Kropotkine, lui-même un évadé de Sibérie (Nineteenth Century, 1884). Plus récemment les lieux de détention de la Russie ont été peints sous les couleurs les plus sombres par un voyageur américain M. Kennan, dans son ouvrage Siberia and the exile system, 1891.