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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/469

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biens de leurs maîtres, assassinats et incendies, désordres domestiques, meurtres des époux mal assortis, grâce au régime du mariage forcé auquel beaucoup de propriétaires astreignaient leurs serfs, donnant les plus belles filles aux meilleurs serviteurs.

On ne saurait donc prendre la criminalité comme un moyen facile d’évaluer les résultats de l’émancipation et des grandes lois qui ont touché presque toutes les branches de la vie nationale. Cette mesure, en apparence si simple, ne peut donner d’indication exacte, puisqu’en réalité elle n’est pas la même pour la période antérieure aux réformes et pour la suivante. En dehors des changements apportés dans l’état social, l’érection des nouveaux tribunaux et toutes les améliorations du service judiciaire rendent une telle comparaison incertaine ou trompeuse.

Et, quand il n’en serait pas ainsi, quand il serait prouvé que, depuis l’affranchissement du peuple, certains délits, certains crimes même ont notablement augmenté, y aurait-il là de quoi condamner l’émancipation et les réformes ? Dans tous les pays remués par des commotions profondes, les bas-fonds de la société, la vase fangeuse tend naturellement à monter à la surface. Ces époques de transformation sociale, où les idées traditionnelles et les vieilles croyances sont ébranlées, où les situations matérielles sont bouleversées et les rangs hiérarchiques confondus, paraissent d’ordinaire, il faut bien le reconnaître, peu favorables à la moralité publique ou privée. En Italie par exemple, le pays de l’Europe qui, avec la Russie, a le plus changé dans le dernier tiers de siècle, la criminalité a pris un essor redoutable. De pareilles révolutions amènent presque partout de semblables effets.

Si, en Russie, quelque chose doit étonner, c’est que la criminalité n’ait pas pris de plus grandes proportions. En fait, elle n’a pas assez varié pour qu’on en puisse tirer des conclusions nettes. À en juger par elle, les réformes n’auraient influé sur les mœurs, ni dans un sens, ni dans