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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/480

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ment les problèmes les plus urgents de l’intérieur, poussent souvent les feuilles russes à remuer bruyamment les questions étrangères, et leur donnent un air de chauvinisme provocant. C’est ainsi, par lassitude d’un statu quo énervant, pour sortir de la somnolence qui lui pesait, qu’à différentes époques, en 1877 notamment, la plus grande partie de la presse russe s’est jetée dans une agitation patriotique en faveur des Slaves du dehors. C’est ainsi qu’à plusieurs reprises, de 1880 à 1886, elle s’est lancée dans une violente polémique contre l’Allemagne, contre l’Angleterre, contre l’Autriche. En semblant céder à des penchants panslavistes ou à des antipathies nationales, la presse ne fait souvent que se lancer dans le champ où elle rencontre le moins de barrières, que s’échauffer pour les seuls objets qui ne lui soient pas interdits.

Ce qui distingue les journaux russes, ce n’est pas tant que la politique y est moins prédominante ou moins hardie qu’ailleurs, c’est que les journaux n’y représentent pas comme chez nous une opinion arrêtée et exclusive, qu’ils n’y appartiennent pas d’ordinaire à un parti dont le journal n’est que le porte-voix ou l’avocat. Il n’en saurait être autrement dans un pays qui n’a pas de vie publique, ou du moins pas de vie politique. Aussi est-il difficile d’y classer la presse en groupes déterminés, sous des enseignes précises. Est-ce à dire, comme on le soutient parfois en Russie, que les journaux n’y représentent que l’opinion individuelle de leurs rédacteurs ? Ce serait là une exagération, la presse n’en réfléchit pas moins les divers penchants de la société, les divers courants qui la traversent et se la disputent. S’il n’y a point de partis au sens politique du mot, il y a des opinions que la presse personnifie et alimente. Il existe comme partout des conservateurs et des libéraux, des aristocrates et des démocrates, mais toutes ces dénominations n’y ont ni la même exactitude, ni la même rigueur qu’en d’autres pays. Pour employer la métaphore habituelle, les feuilles russes ont une couleur