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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/483

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sions belliqueuses. Après comme pendant la guerre de 1877-1878, la presse a mainte fois signalé les lacunes de l’organisation militaire et les défauls de l’administration civile avec une liberté qui, en un tel pays, étonnait l’étranger. L’imprévoyance ou l’impéritie de l’intendance, la cupidité et les larcins des fournisseurs, les procédés de l’administration impériale dans les pays occupés, le gaspillage des terres de l’État, ont été dénoncés dans les journaux, avec une vivacité de langage qui, dans son franc-parler, semblait parfois toucher à l’injustice[1].

Quand un vaisseau est en mer, est-ce aux passagers à donner des conseils au capitaine ou à critiquer les manœuvres de l’équipage ? Pour l’empereur Nicolas et pour les tchinovniks de son école, la prétention de donner des avis au pouvoir n’était ni moins ridicule, ni moins périlleuse. D’après les vues bureaucratiques alors en vigueur, toute tentative de ce genre n’eût été qu’une insolente usurpation sur les droits du gouvernement. Si la presse avait une fonction dans l’État, c’était d’informer le pays des actes du pouvoir, c’était d’amuser ou d’instruire le public, jamais de renseigner ou de contrôler l’autorité. Des journaux, des revues, des livres, l’autorité ne pouvait rien apprendre. Toute appréciation des intérêts politiques était interdite aux sujets du tsar, ils devaient s’estimer heureux quand le souverain daignait permettre à la presse officieuse de leur expliquer ses intentions et de leur en faire comprendre les bienfaits. Aussi, selon le mot du poète, de l’Oural au Pruth « on se taisait dans toutes les langues[2] ».

Aujourd’hui, comme sous Nicolas, le Russe n’est qu’un spectateur de son gouvernement, il ne fait qu’assister à la pièce politique, sans avoir le droit de monter sur la scène

  1. Comme exemple de ce que pouvait se permettre la presse à une époque où elle se sentait déjà moins libre que quelques années plus tôt, je citerai une série d’articles de M. Eug. Outinc, intitulés En Bulgarie (Vésinik Evropy, 1878-1879).
  2. Mot du poète ukrainien Chevtchenko.