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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/484

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où se joue le sort de sa patrie ; mais, alors, c’était un spectateur muet et silencieux, auquel toute remarque sur l’ordonnance de la pièce ou le jeu des acteurs était strictement interdite. Les applaudissements seuls étaient tolérés. Il n’était pas seulement défendu de critiquer le gouvernement, l’administration, les fonctionnaires : un article du règlement de la censure prohibait formellement toute proposition d’améliorer aucun service public ; c’eût été manquer à l’esprit de discipline que l’autocratie prétendait établir dans la vie civile comme dans la vie militaire.

Les désillusions de la guerre de Crimée devaient porter un rude coup à cette conception du rôle des gouvernants et des gouvernés. Ni la société n’avait la même confiante docilité pour les ordres qui venaient d’en haut, ni la hiérarchie bureaucratique la même foi en sa propre infaillibilité. Aussi l’attitude de la presse vis-à-vis des affaires publiques et l’attitude des agents de l’autorité vis-à-vis de la presse se modifièrent-elles notablement, avant même la modiflcation des lois sur la censure. Sous le souffle de l’esprit de réforme qui agitait tout le pays, les écrivains montrèrent une hardiesse et les agents du pouvoir une tolérance inconnues jusque-là. Un événement dont on n’eût attendu que des mesures restrictives, l’insurrection de Pologne, en 1863, vint accroître l’autorité de la presse en la montrant comme l’organe naturel du sentiment national, à un moment où le pays se croyait à la veille d’une guerre avec l’Europe. Ce rôle inouï pour elle, la presse russe le dut à un journaliste moscovite, non moins puissant sous Alexandre III que sous Alexandre II, au directeur de la Gazette de Moscou, dont un étranger peut ne point partager les vues et les haines, mais dont personne ne saurait nier l’énergie et la forte personnalité. Grâce à M. Katkof, la Russie eut alors le singulier spectacle d’un journal érigé en tribune et d’un écrivain, sans autre arme que sa plume, devenu le guide de la nation et l’inspirateur du pouvoir. Pour la première fois, l’autorité étonnée