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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/489

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velle pénalité. À la presse on offre l’alternative de voler librement à ses risques et périls, sauf à être soudainement arrêtée dans son essor et à rester victime de ses hardiesses, ou bien d’avoir les ailes rognées et de continuer une tranquille existence terre à terre, à l’abri de la censure qui garantit de toute surprise. Revues ou journaux, les principales feuilles se sont naturellement décidées pour le droit de paraître sans l’estampille administrative.

Ce droit, on n’en jouit qu’en payant un cautionnement, assez modeste, 2500 roubles. C’est à l’aide de communiqués et d’avertissements ministériels que le pouvoir redresse les écarts de cette presse émancipée du servage de la censure. Comme en France, sous le second Empire, le journal peut être supprimé après trois avertissements, mais c’est là l’exception et non la règle. Jusque vers la fin du règne d’Alexandre II, le pouvoir en usait d’une main plus paternelle avec une presse chez laquelle il ne rencontrait guère d’hostilité systématique ; d’habitude, il se contentait, au troisième avertissement, d’une suspension de trois mois, de six mois, ne recourant à la suppression que si les tendances du journal averti lui paraissaient décidément mauvaises et incorrigibles.

Un régime aussi arbitraire vaut ce que valent la tolérance et le libéralisme du pouvoir. La presse étant tenue en laisse, le gouvernement est maître d’allonger ou de raccourcir la corde ; il la tend ou la relâche selon ses défiances ou son humeur. Rien de plus variable que les facultés laissées aux journaux ; ce qui est permis un jour ne l’est plus le lendemain. Durant une dizaine d’années, l’administration russe semble s’être servie de ses prérogatives avec plus de mesure ou de longanimité que le gouvernement dont elle s’était faite l’imitatrice. Depuis l’agitation « nihiliste », l’autorité a usé de toutes les armes qu’elle s’était ménagées. Il est peu de journaux qui n’aient été plusieurs fois avertis et suspendus. Dans son goût croissant pour les moyens de répression, le ministère de