Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/490

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’intérieur s’est approprié les plus mesquins, les plus décriés des procédés jadis employés par la France impériale, comme l’interdiction de la vente au numéro. Il a inventé des pénalités plus vexatoires encore, telles que la défense de publier des annonces, ce qui, en Russie, est la principale ressource de la presse. Comme la plupart des feuilles russes sont aux mains d’hommes d’affaires, avant tout préoccupés de leurs profits pécuniaires, cette sorte d’amende déguisée les prend par l’endroit le plus sensible. C’est là parfois une manière détournée de tuer une feuille désagréable, en lui coupant les vivres, sans se donner l’odieux d’une suppression brutale. Outre les pénalités édictées par la loi ou les règlements ministériels, l’autorité a toujours à sa disposition des moyens plus discrets, auxquels il faut lui savoir gré de ne pas recourir plus souvent. Elle peut, sans bruit, contraindre un directeur à l’abandon de son journal[1], elle peut se débarrasser d’un rédacteur en lui faisant fermer les principales feuilles ou en l’internant dans une ville écartée.

Du milieu du règne d’Alexandre II au règne d’Alexandre III, les rigueurs contre la presse ont, sauf de courts moments de répit, été en se multipliant. De 1865 à 1880, l’administration avait distribué cent soixante-sept avertissements et suspendu cinquante-deux feuilles. De 1872 à 1880, l’interdiction de la vente au numéro avait été prononcée plus de soixante fois ; certains journaux, le Golos notamment, avaient été frappés deux fois de ce châtiment dans la même année et pour une durée de plus de six mois[2]. On ne saurait évaluer les pertes matérielles infligées de ce chef à la presse. Le Golos assurait avoir essuyé de cette sorte, sous Alexandre II, un dommage d’environ 200 000 roubles. On comprend que tous ses confrères n’aient pu résister à de pareilles épreuves. Aussi beaucoup des feuilles les plus

  1. C’est ce qui est arrivé, vers la fin du règne d’Alexandre II, à M. Korsch et à la Gazette (russe) de Saint-Pétersbourg.
  2. Statistique empruntée au Vêsinik Evropy, juin 1880.