Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/492

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contre la presse, a, sous le ministère du comte Tolstoï, en août 1882, édicté « un règlement temporaire » (toutes ces mesures de restriction sont réputées provisoires) par lequel il n’est plus besoin, pour supprimer une publication périodique reconnue dangereuse, d’une délibération du comité des ministres. Il suffit de la décision d’une conférence composée des ministres de l’Intérieur, de la Justice, de l’Instruction publique et du procureur du Saint-Synode. Cette conférence à quatre a en peu de temps fait disparaître ce qui survivait encore d’organes libéraux. C’est ainsi qu’ont été supprimés, en 1883, le Télégraphe de Moscou et, en 1884, les Annales de la Patrie, la revue de M. Soltykof, avec toutes les conséquences qu’entraîne une suspension de ce genre, c’est-à-dire avec l’interdiction, au directeur et au propriétaire du recueil condamné, d’entreprendre jamais aucune autre publication périodique[1].

Il était impossible que les attentats révolutionnaires et le meurtre d’Alexandre II n’empirassent pas la situation de la presse. Au commencement du règne d’Alexandre III, on pouvait tout craindre, même le rétablissement de la censure préventive. Si le pouvoir n’a pas eu recours à cette extrémité, c’est qu’il a trouvé d’autres procédés non moins efficaces. À certains moments, les gouverneurs généraux, spécialement créés pour la lutte contre le « nihilisme », ont été investis du droit de supprimer tout recueil ou journal dont « les tendances étaient reconnues nuisibles », et cela sans aucun avertissement préalable, sans aucun exposé des motifs. C’est là, du reste, une faculté dont ces dictateurs militaires n’ont pas eu besoin de faire un fréquent usage. Ministres ou gouverneurs généraux ont des moyens plus discrets et non moins efficaces : ils n’ont qu’à prévenir officieusement la presse qu’elle ait à s’abstenir de discuter telle ou telle question, telle ou telle

  1. Pour supprimer les Annades de la Patrie (Otetchestvennya Zapiski), on a profité de ce que quelques-uns de leurs rédacteurs avaient, à tort ou à raison, été impliqués dans un procès politique.