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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/493

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mesure. À de pareils avis les journaux ont garde de ne pas se conformer. La censure peut ainsi se trouver indirectement rétablie par des communications verbales ou des ordres écrits ; propriétaires ou éditeurs, jaloux de sauver leur fortune, peuvent devenir, pour leur journal, les plus rigides des censeurs. On comprend par là comment, aux heures où triomphent partout les idées de répression, le gouvernement n’ait pas besoin de recourir plus souvent aux moyens de contrainte envers une presse trop à sa merci pour provoquer sa colère.

Si rude que soit la main du pouvoir, même dans ses années de laisser-aller, les pénalités administratives infligées à la presse russe pourraient être regardées comme une conséquence d’un gouvernement paternel. En promettant la liberté aux journaux, l’autorité s’était réservé le droit de les corriger au besoin. Et, de fait, ces punitions étaient fréquemment levées avant l’époque fixée, à la façon d’une pénitence que des parents abrègent pour un enfant auquel ils pardonnent. Souvent les feuilles ainsi châtiées imploraient humblement leur grâce en jurant d’être plus sages à l’avenir. Les sévérités de l’administration n’atteignent pas seulement les feuilles indépendantes, à tendances plus ou moins libérales, car, de journaux d’opposition, il n’en saurait exister avec un pareil régime. Avertissements et suspensions tombent parfois à l’occasion sur les organes les plus conservateurs, comme si l’administration, dans sa jalouse tutelle, se piquait de montrer qu’elle n’a pas de préférence entre ses pupilles. Le Den, la Moskva, le Grajdanine[1], feuilles qu’on ne pouvait soupçonner d’être « mal intentionnées », ont été tour à tour réduits à disparaître ; et c’est ainsi que les moins révolutionnaires des Russes, les Slavophiles, ont toujours eu beaucoup de peine à conserver un organe[2].

  1. Le Grajdanine a reparu sous Alexandre III.
  2. La Rous de M. Aksakof a elle-même cessé sa publication en 1886, lors de la mort de son directeur. Cette Rous (Russie) était le défenseur le plus