Lors de mon premier voyage en Turquie, il y a déjà une vingtaine d’années, je fus étonné, en débarquant au pied de Péra, de voir un employé de la douane me prier de lui soumettre mes livres. Ce douanier de la pensée était un jeune nègre qui bredouillait et emmêlait quelques mots de français, d’italien et d’anglais. Les choses se passent à peu près de même à la frontière russe, avec cette différence que le bakchich y règne moins effrontément, et que l’examen des livres ne s’y fait point par des noirs ignorants.
Les livres étrangers, ne pouvant être poursuivis dans la personne de leurs auteurs ou éditeurs, ne jouissent pas de l’exemption de la censure préventive. Comme sous Nicolas, il y a pour eux une censure spéciale (inostrannaïa tsentsoura). De cette censure étrangère relèvent les livres ou journaux qui se présentent aux portes de l’empire. La besogne ne lui fait pas défaut, car les Russes, grands amateurs des langues de l’Occident, le sont aussi beaucoup de ses littératures. Vers le milieu du règne de Nicolas, la librairie russe importait annuellement trois cent cinquante mille volumes étrangers, français surtout[1] ; la plupart, il
- ↑ Chiffre donné pour 1836 par Schnitzler, Statistique de la Russie.