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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/499

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est vrai, appartenaient au genre frivole, si ce n’est licencieux, le genre qui trouvait le plus aisément grâce devant le rigorisme des censeurs. Tout en demeurant considérable, le chiffre de ces importations a peut-être plutôt diminué qu’augmenté, cela grâce au développement de la littérature et de la presse nationales.

La censure étrangère n’en a pas moins chaque année des milliers d’ouvrages à examiner. Elle peut les interdire ou les admettre : elle peut aussi n’en autoriser l’entrée qu’avec des coupures. Une feuille spéciale indiquait naguère au public les ouvrages admis ou prohibés. Sous Alexandre II, la censure étrangère s’est généralement montrée large et coulante, bien qu’elle eût parfois les plus singuliers scrupules. Les ouvrages les plus radicaux en philosophie et en économie, si ce n’est en politique, les plus célèbres traités de socialisme notamment, ont pu pénétrer dans l’empire et y être traduits[1]. À l’inverse de l’index romain, l’autorité russe s’est toujours montrée beaucoup moins sévère pour les doctrines et les théories que pour la critique des faits et des personnes. C’est là un des caractères de la censure russe, et par ce penchant elle a malgré elle favorisé ingénument la diffusion des théories radicales, dont elle devait préserver l’empire. Dans ce domaine comme ailleurs, les dernières années ont amené une recrudescence de sévérité, sans que pourtant la Russie ait de nouveau été soumise au blocus intellectuel du règne de Nicolas.

L’essor pris par la presse indigène a naturellement diminué la circulation et l’influence des journaux du dehors. Aussi n’a-t-on pas craint d’accorder à la plupart de ces derniers le libre accès du territoire. Environ trois cents

  1. On peut citer, par exemple, le Capital de Karl Marx. Par contre, les ouvrages de plusieurs des savants ou des philosophes les plus en renom en Occident, tels que H. Spencer, Darwin, Hœckel, Strauss, E. Renan, etc., se sont vu fermer les portes de l’empire ou n’ont été admis qu’avec des mutilations considérables. Il en a été de même de poètes ou de romanciers, comme H. Heine et Flaubert.