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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/500

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journaux étrangers, dont les deux tiers, il est vrai, n’ont rien de politique, sont admis en franchise. Les juge-t-on pernicieux ou systématiquement hostiles, on leur ferme les portes de l’empire, comme, durant la dernière guerre d’Orient, au Journal des Débats.

Les revues étrangères, dont quelques-unes, telles que la Revue des Deux Mondes ou la Deutsche Rundschau, gardent un grand nombre de lecteurs, payent parfois tribut aux susceptibilités de la censure. Les passages suspects ne sont pas toujours coupés avec des ciseaux, comme naguère à Rome sous la souveraineté pontificale ; on se sert à SaintPétersbourg d’un procédé plus perfectionné. Les phrases malsonnantes sont biffées à l’aide d’encre d’imprimerie. Les livraisons ou les volumes ainsi traités présentent de larges taches noires qui parfois couvrent des pages entières. C’est ce qu’en argot du métier on appelle être passé au caviar. J’ai pu voir moi-même, dans la Revue des Deux Mondes, plusieurs de mes études sur la Russie maculées de cette façon. Malgré la modération habituelle de mes appréciations, je ne sais s’il est aucun de ces articles qui ait échappé au caviar des censeurs. En laissant tout passer, ils craindraient d’avoir l’air négligent, et, ne fût-ce que pour attester leur vigilance, ils se croient obligés de noircir çà et là les pages qui leur tombent sous la main. Quelquefois cette opération est exécutée avec si peu de soin que les lignes condamnées se laissent aisément déchiffrer à travers l’espèce de tulle noir dont les recouvre l’encre des censeurs. « Que nous importe ? répondait à ce propos un de ces derniers, l’essentiel pour nous, c’est de donner signe de vie. »

La censure étrangère ne se contente pas toujours, il est vrai, de passer au caviar les revues ou les brochures assujetties à sa revision ; parfois elle coupe des chapitres ou des articles entiers. C’est ce que je sais encore par expérience personnelle ; cela m’est arrivé, une fois entre autres, en 1880, dans des circonstances piquantes. J’étais à Péters-