Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/505

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vent prétendre à cette faveur. Il n’y a dans tout l’empire que huit ou neuf comités de censure, d’ordinaire accablés de besogne. Dans la plupart des chefs-lieux de gouvernement il y a bien des censeurs isolés, mais, pour chaque affaire douteuse, ils sont obligés d’en référer aux comités, qui eux-mêmes doivent souvent consulter la direction supérieure. Et, comme la rapidité des décisions n’est le propre d’aucune hiérarchie bureaucratique, les manuscrits restent des semaines et des mois avant de revenir à la rédaction du journal, perdant en route leur intérêt avec leur actualité.

Les villes qui possèdent des censeurs sont-elles au moins libres de fonder des journaux ? Nullement. Aucune feuille nouvelle ne peut s’établir sans autorisation, et, comme si la censure préventive n’était point une garantie suffisante, les autorités locales n’aiment pas à voir augmenter le nombre des journaux, ne serait-ce que pour ne pas accroître la besogne des censeurs ou ne pas faire de concurrence aux publications officielles. Aussi, à part quelques rares exceptions, comme le Kievlanine de Kief ou le Messager d’Odessa, n’y a-t-il dans les provinces que des journaux officiels ou officieux, presque également dépendants et serviles, également insignifiants. À côté des organes dociles de l’administration, on ne rencontre guère que des feuilles spéciales, journaux des zemstvos ou des universités ou des évêchés[1].

Pour cette presse, dépourvue de garantie, il ne peut être question de liberté. Sous le couvert de la censure, le tchinovnisme local en est entièrement maître ; le ton des écrivains dépend des idées ou de l’humeur des autorités de la province. Telles sont parfois les rigueurs de la censure

  1. La plus grande partie des journaux de province appartiennent à l’administration. Ces Gazettes de gouvernement, Goubernskiia Védomosti, sont d’habitude rédigées par un fonctionnaire ou un employé du gouverneur. En certaines provinces, à Kazan par exemple, au début du règne d’Alexandre III, on a vu des gouverneurs n’épargner aucun effort pour substituer parmi leurs administrés ces obéissantes gazettes provinciales aux journaux de Pétersbourg.