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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/512

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CHAPITRE III


Influence du régime de la presse sur la littérature et la pensée russes. — Paradoxe d’un censeur. — Comment, faute de liberté, la politique se glisse dans la poésie ou le roman. — Littérature à tendances. — Inconvénients pour les lettres, inconvénients pour l’esprit public. — De quelle façon la censure encourage le goût pour les nouveautés et le penchant au radicalisme. — Presse clandestine et journaux de l’émigration. — Imprimeries nihilistes et organes des comités révolutionnaires. — Impuissance des règlements sur la typographie. — De quelle façon le régime de la presse pousse aux sociétés secrètes. — Comment en Russie la liberté de la presse aurait plus d’avantages et moins d’inconvénients qu’ailleurs.


« Que pensez-vous de nous ? me demandait, après m’avoir expliqué le mécanisme de la censure, un ancien censeur, homme lettré et libéral à sa façon. — Je pense, lui répondis-je, qu’un pareil régime, appliqué durant des générations, a dû avoir sur la vie publique et privée, sur le tempérament national, une influence considérable. À mes yeux, l’effet n’en est pas seulement sensible dans tout ce qui touche à l’administration et au gouvernement, mais aussi dans vos idées et dans vos habitudes d’esprit, dans votre art et votre littérature, dans la pensée russe en un mot. — Et ces effets si multiples sont fâcheux, n’est-il pas vrai ? reprit avec un sourire à demi courtois, à demi railleur, mon interlocuteur ; je vous serais obligé de me les faire connaître, car je suis comme les gens qui, à force d’avoir un paysage devant les yeux, ne voient plus rien de ce qui frappe l’étranger. Vous pouvez parler en toute liberté, il n’y a ni censure ni censeur ici. — Pour être sincère, répondis-je, j’ai médiocre opinion de votre office de curateur des écrits et des écrivains. Est-ce préjugé ou in-